" PAS D'ARGENT PAS D'AMIS "
"Qu'est-ce qu'tu m'as ramené d'France ?" me demande, sans complexe, Fortuné en entrant dans le bureau. Fortuné, 21 ans, est apprenti en imprimerie et n'est souvent que de passage ici. Plus que surprise par cette demande incongrue, je sens monter en moi une irritation que je tente d'étouffer au plus vite dans une réponse négligée.
Que voulait-il bien que je lui ramène ??! Fortuné n'a qu'un rôle de figurant dans ma vie béninoise. Ce n'est pas un ami, mais une connaissance… une lointaine connaissance… comme Joyce, Raymond, la commerçante du coin, Jean-Eudes, Gervais, le couturier, etc. Et pourtant, tous sont venus me voir dès mon retour de France. Certains étaient même surpris, terriblement déçu que je ne leur tende pas un petit paquet soigneusement emballé. Non mais vraiment ! Je n'allais tout de même pas inonder de présents tous les gens que j'avais croisé
au Bénin !
Comme le souligne le journaliste Ryszard Kapuscincki dans son livre Ébène, aventures africaines, "la culture africaine est une culture de l'échange". Si on te donne quelque chose, tu dois rendre. C'est un devoir, un engagement. "Le cadeau est un appel à un geste de retour, à un rétablissement rapide de l'équilibre. J'ai reçu quelque chose ? Je rends !"
L'autre jour, je me suis enlisée dans une marre de sable. Quelques gardiens du quartier sont venus me prêter main forte… en terminant leur bonne action par un agressif : "Tu me donnes quoi ?" Lorsque un Africain "offre de sa personne, sa sollicitude, offre des informations (…), il va de soit que cet homme généreux attend un retour, un dédommagement, une satisfaction.
Je vous rassure… tous ne sont pas ainsi !!
Et si mon quotidien ne s'arrêtait qu'à ce genre de situations…
Je supporte chaque semaine un défilé incessant de pauvres malheureux rivalisant de subterfuges, de médiocrités et de mensonges pour une petite pièce... enfin plutôt quelques billets... 5000 Fcfa pour réparer la moto de Janvier qui n'a pas encore reçu son salaire ; 5000 pour Georges qui a tenté de me faire croire une histoire exubérante, le verbe décontenancé et la larme à l'œil ; 30 000 Fcfa pour l'apprenti d'un artiste hospitalisé ; une tentative pour l'achat d'un téléphone portable de la part d'un collègue ; une demande pour cotiser aux funérailles, du père, d'un très lointain voisin que je soupçonne de tenir encore debout, bref.
Cette situation m'amuse beaucoup… avec un peu de recul. Ils ont tous cette même manière fébrile, dramatique, surjouée, déplacée, et systématique de venir nous voir pour ce genre de demande. D'abord il demande à te parler. A toi seul. A part, loin des regards. Ensuite il te laisse sous entendre que votre amitié est vraiment très importante. Là, il faut comprendre que si tu refuses de l'aider tu risques de culpabiliser pour le restant de tes jours… Ahh ! l'amitié à bon dos ! La plupart ne rendront jamais l'argent car n'en n'ont pas les moyens.
Il faut le savoir.
Par ailleurs, comprenez l'appréhension que j'ai à chaque fois que l'on me demande mon numéro de téléphone… quand ce n'est pas pour me demander de nouer un autre type de relation (comprendre devenir la petite amie d'un inconnu) !
J'ai bien compris que les Africains sont souvent persuadés que le Blanc est beaucoup plus riche que n'importe quel Noir. Lorsque un Noir rencontre la route d'un Blanc, il faut que ce dernier ne laisse pas échapper une telle occasion de se "lier d'amitié" avec…
La plupart d'entre eux n'ont rien, effectivement, et veulent tout avoir.
J'ai vu dans certaines cours familiales, des mères de famille aller puiser l'eau dans un puits, à l'eau douteuse, et cinq minutes plus tard prendre un appel téléphonique d'un magnifique portable… que je n'ai même pas en ma possession !!
Le plus pauvre d'entre eux, préférera investir dans un téléphone portable dernier cri plutôt que d'améliorer quelques éléments "essentiels" de son quotidien.
jeudi 24 janvier 2008
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