samedi 2 mai 2009

Jour de fête

Cérémonie de masques Gèlèdé • Adjohoun

Petite tache ocre sur la carte, le quartier Agoungoun s'éveille. Il s'éveille sous un ciel noir comme une goutte d'encre de chine mais étoilé. Quelques néons suspendus à des bouts de bois nous accueillent. Quelques yeux pétillent et semblent clignoter sous ce lampadaire de fortune. Ce sont des enfants frétillants d'impatience. Le quartier endormi s'éveille. La lumière crue des néons fait apparaître des fragments de pagnes colorés. La foule s'assemble, se rapproche, salue.

C'est un jour de fête, dans ce quartier reculé d'Adjohoun !

Derrière un muret de banco, une cour. S'y échappent des volutes de fumée. Les villageois y ont improvisé une cuisine. Des bols n'attendent plus qu'à remplir leur ventre en plastique coloré de pâte rouge. Cette pâte si délicieuse en bouche. Cette pâte des jours heureux que Mémé est en train de préparer en s'agitant autour d'une marmite en fonte. Les tomates et les oignons réduisent sur le feu dansant. Sa lumière si chaude éclaire des visages souriant. Un vieux nous sert du sodabi, l'alcool local, que je goutte dans un petit verre accompagné de lait.
Les papilles s'impatientent. Le cœur aussi. J'entends au loin des vibrations de percussions. Le cœur s'emballe en ce jour de fête. Quelques villageois ivres de joie et de sodabi disparaissent derrière les maisons de banco pour rejoindre les notes de musique. Pendant que nous avalons notre repas, quelque part dans une demeure des initiés s'apprêtent.

Ce soir à Adjohoun, c'est jour de fête : on sort les masques pour les faire danser !

Quelque part, loin des regards indiscrets quelques hommes enfilent leurs costumes brodés et colorés. Ce soir ils fixeront solidement sur leur tête un mystérieux masque en bois. La foule est assemblée... et quelques endormis, enivrés.

L'endormi


J'ai sorti mes aquarelles, taillés mes crayons. Pour rien au monde je ne raterais cette cérémonie ! Croquer les danses, les costumes virevoltant, les combats de danseurs, et ces merveilleux masques que j'avais déjà observé chez l'antiquaire Justino De Meideros, posés sur des étagères poussièreuses. Mon cœur s'emballe. La musique aussi. Les gens se lèvent, chantent et dansent pour accueillir comme il se doit ces masques Gèlèdé !



Et sur le son des tambours, les danseurs arrivent. En duo, ils s'animent et prennent vie dans mon carnet ! C'est captivant !



"Ces masques aux polychromies chatoyantes appelés masques Gèlèdé sont issus de la société éponyme située entre le Bénin et le Nigéria et puisent leurs origines au sein de l'importante ethnie yoruba.

Il s'agit d'une société matriarcale. Mais au 18e siècle, il y a eu usurpation: les hommes ont pris le pouvoir et ne cessent depuis d'essayer de se faire pardonner en consacrant un culte à la toute puissance de la mère ancestrale.

En adorant les Mères, le Gèlèdé célèbre le pouvoir de la femme: en donnant la vie, elle maîtrise ses mystères, insondables pour les hommes; en devenant sorcière, elle peut aussi semer le désordre, reprendre la vie.

Dans la société gèlèdé, classée depuis 2001 par l'UNESCO sur la liste des patrimoines oraux et immatériels de l'humanité, l'autorité politique revient aux hommes et le pouvoir spirituel aux femmes: le culte est dirigé par des femmes et toutes les divinités sont des femmes. En revanche, les danseurs qui incarnent ces divinités dont ils portent le masque sont tous des hommes.

La nuit se déroulent les cérémonies rituelles très codifiées, accompagnées de chants et de danses au rythme des percussions, avec des masques spécifiques qui apparaissent puis disparaissent dans l'obscurité selon un ordre ancestral.

Le jour est consacré à la fête avec un parti pris plutôt de communication sociale. Il s'agit de faire passer un message en terme de morale, de santé, d'éducation, voire de politique.

De nombreux masques de jour, posés sur le haut de la tête du danseur, représentent des scènes de la vie quotidienne et sont articulés depuis les années 60, à l'image de marionnettes. Par l'entremise de cordelettes ou par des mouvements du corps, le danseur peut donner vie aux personnages qu'il représente.

Ainsi ce masque où une femme avec un enfant refuse d'un mouvement de tête le biberon que lui propose un homme: après de nombreuses morts d'enfant provoquées par du lait en poudre mélangé à de l'eau contaminée, il s'agit d'inciter les femmes à allaiter.
"

(Source : masques Gèlèdé ici)



Le quartier en fête ne se rendormira que le lendemain, après avoir battu la terre ocre de ses danses et de sa joie !

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Merci à Guénaël Fassier,
doctorant en anthropologie,
et spécialiste de l'art Gèlèdé au Bénin,
pour nous avoir emmené sur ces chemins.

2 commentaires:

lionel larchevêque a dit…

j'adore "l'endormi" !

Karine a dit…

merci !

:)